juste un bouquet rouge, des chansons et des gens qui bougent
Gros coup de blues hier en fin de matinée à la lecture de mes mails : Allain Leprest a fini la bouteille ; il avait semble-t-il vaincu ce méchant crabe, mais couvait toujours en lui cette langueur qu'on dit inguérissable, qu'on croit qu'ça vient du cœur, mais qu'on a rien au cœur qu'un invisible clou. L'anarchiste Ferré était mort un quatorze juillet, l'athée Leprest un quinze août, cruelle ironie : à Entraigues, du côté de chez son ami Ferrat (sacré coco !), le chanteur s'est donné la mort ; chanter, des fois, ça fout l'cafard.
La première fois que j'ai entendu une chanson de Leprest, je crois que c'était sur France Musique, et que c'était Le Cotentin, sur l'album voce a mano, celui avec Galliano. Je ne sais plus quand, ni dans quelle émission, c'est bien dommage. Mais j'ai retenu cette énorme émotion vécue à cette écoute, et quand quelques années plus tard mon frère m'a fait entendre ce disque j'ai immédiatement reconnu cette chanson, et découvert le reste du répertoire, fasciné par cette plume si vive, si forte. L'émission de Radio Libertaire du lundi soir, ça urge au bout de la scène, où les deux Bernard sont des «fans» de la première heure, m'y a aussi beaucoup aidé - et m'a poussé à en écouter d'autres, comme Bernard Haillant (lui aussi disparu dans l'indifférence quasi générale), Jacques Bertin, Michèle Bernard, Romain Didier... Tous des noms inconnus du «grand public» ! Tous essentiels, pourtant.
Lorsque Leprest, début 2007, est soudain tombé gravement malade, il y a eu un élan de solidarité dans la «profession», et du fait que certains artistes (beaucoup) moins méconnus des médias lui aient rendu hommage, on a un peu parlé de lui ailleurs que chez les «happy few». C'est peu après que je l'ai vu pour la première fois sur scène, le 21 juin 2007 (j'en parle par là). Puis plus tard dans un concert inoubliable au Bataclan (concert dont on peut trouver une captation presque intégrale en DVD, avec le deuxième volume de Chez Leprest). Enfin en septembre 2009 à la fête de l'Huma (où j'ai pris la photo ci-dessus). Et c'est tout, que c'est peu...
Allez, encore une dernière citation, du dernier album, dans une chanson ironiquement dédiée à George W. Bush (!), qu'Allain chantait pendant cette photo froide et lunaire :
Fini la neige et le grêlon
D'autres galaxies les emportent
Vivre nous quitte à reculons
Glissant des icebergs sous nos portes
Dans mille ans peut-être plus d'heures
Fini les couteaux qu'on aiguise
Pour l'assiette du prédateur
Quand auront fondu les banquises