Têtes Raides au Bataclan

Publié le par astroJR

 Encore le Bataclan, encore les Têtes Raides !
 Et nom de Zeus, mais c'est vraiment un groupe terrible, un des tous meilleurs, quel pied !

 En première partie, il y avait Jean Corti. La salle n'est pas pleine, ça discute pas mal et il joue un peu dans un brouhaha pas très respectueux ; j'imagine qu'une partie du public ignorait qu'il y avait une première partie, et que certains même ne savaient pas qui était ce monsieur. Pourtant, les bourgeois, les vieux, Madeleine... c'était lui le compositeur ! Le petit monsieur, près de 80 ans, passe avec délice de la virtuosité malicieuse à la langueur rêveuse. Le répertoire ? essentiellement des standards de la chanson française, de la javanaise à l'aigle noir en passant par l'hymne à l'amour ou le temps des cerises, entrecoupés ça et là de standards de jazz (misty d'Erroll Garner, mais les feuilles mortes en est aussi un) ou de compositions personelles - dont certaines sont tout autant des classiques ! Bien entendu, c'est par des chansons de Brel qu'il termine, entraînant le public à chanter entre ses semi-improvisations les refrains de Vesoul ou des bourgeois. Applaudissements chaleureux, et petite pause avant le début du concert des Têtes...

 Un grand coup de trombone saturé dans les oneilles (sacré Kropol...) et c'est parti ! Sur la religieuse, pochade datant de fleur de yeux, qui prend un sens encore plus savoureux maintenant. Dans l'ensemble, le concert sera très rock, très dur et fort, tout autant que sur la tournée de Fragile. Les éclairages de Fantôme sont particulièrement soignés, ils soulignent les mots et les ambiances musicales avec finesse. Le groupe jouera dans le concert la quasi-totalité du nouvel album Banco. Dès le début (si je ne me trompe pas dans l'ordre) : l'élégant tam-tam, le furieux ici. Puis une des meilleures surprises du concert à mon goût, le retour d'une chanson venue de l'album les oiseaux, pas forcément la plus connue : le grand bal, l'une des chansons qui font de leurs zoziaux l'un des albums les plus vertigineux de la chanson française de ces vingt dernières années - rien que ça ! Artichaud, inédit en studio, est un peu dans le même esprit mais me touche moins...
 Avec l'arrivée sur scène de Hakim Hamadouche arrive un moment de calme relatif, avec la très belle la bougie du dernier album. Puis Christian Olivier déclame dans la gueule du loup, sur un fond de oud assez logique, mais la mélodie d'accordéon qui accompagnait ce texte dans Chamboultou me manque un peu : le même texte de Kateb Yacine apparaît moins poignant, plus accusateur, comme s'il n'espérait plus aucune réponse à la question "Peuple français (...) Et maintenant vas-tu parler ? Et maintenant, vas-tu te taire ?" . Pourtant, Expulsez-moi, qui suit immédiatement, est bien une réponse, franche, directe, solide, et festive : "Puisque c'est comme ça (expulsez-moi !), je m'expulseraaa !" Un autre invité : l'accordéoniste Alexandre Leitao, pour j'ai menti, valse tendre et virevoltante qui rappelle l'esprit de Chamboultou, terminant par une variation délirante sur le thème : "alors, on y va ou on n'y va pas ?". Puis une bande de mômes ravis pour Banco.
 Suivent (quoique je m'embrouille sans doute dans l'ordre) deux classiques du groupe : Gino, cette histoire d'amour abracadabrante et déjantée entre une veuve de marin et un marchand d'oiseaux, puis le brulôt punk journal, qui a gagné en précision sans rien perdre de son côté brutal, dérangeant.

 Le clou du spectacle, c'est bien entendu Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Le texte de Stig Dagerman, que Christian Olivier a fini par connaître quasiment par coeur (un coup d'oeil furtif sur le bouquin de temps en temps), happe notre attention pendant vingt minutes, ou l'accompagnement musical suit et soutien magistralement un texte ardu, avec ses passages réguliers de l'ombre à la lumière. Honnêtement, je ne prétend pas avoir compris fondamentalement le texte de Dagerman, et je doute qu'il y ait beaucoup de monde qui le saisisse dans son entièreté dans le public. Mais c'est un texte riche, profond, plein d'idées et de fulgurances, et avec ce but sublime, chercher, du plus profond du désespoir existentiel, une consolation, mieux encore une raison de vivre, dans une attitude qui rejette les mensonges de la foi, sous toutes ses formes. On en sort soufflés, éberlués.
 Dans le désordre, viennent ensuite Emily (avec Christian qui crie son texte hors micro pour les deux premières strophes), les autres, plus haut (avec Edith qui se lâche complètement), Civili, je chante... Et bien sûr Ginette, avec Alexandre Leitao et Jean Corti, et évidemment la fidèle lampe qui virevolte au-dessus du public en transe, "Allez Ginette !" Petite anecdote, au moment où Christian tente de rompre le charme, "La mer ça s'invente pas (tsoum tsoum tsoum) Et nous on crèèève à rester là ! (tsoum tsoum tsoum) Eeeeettt..." avant qu'il ne dise "c'est tout", le public de la fosse a recommencé la ritournelle ! Christian paraît étonné, puis affiche un large sourire, Iso reprend au saxophone, et c'est reparti jusqu'à ce que Ginette aille se coincer au plafond parmi les projos ! Plus tard, on aura on s'amarre, je voudrais pas crever (merci Boris !), et l'iditenté, toujours aussi brûlante d'urgence, avec une citation de Georgia de Philippe Soupault placée en clin d'oeil.
 Latuvu : grand moment de déconnade avec mini-moto, danse du slip, boule à facettes... Un peu longuet quand même. Ensuite (mais j'en ai certainement oublié au passage), la trop rare mille façons. Christian cherche à renouveller la mélodie dans les deux premiers couplets, hésitant entre son ton grave habituel et un registre ténor essoufflé, puis chante le dernier couplet à l'octave : magique ! Et le phare en rappel, grand moment encore. Ils sont inépuisables !

Publié dans Musique

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